Par principe, l’acquéreur évincé et le vendeur ont intérêt à agir à l’encontre d’une décision de préemption, et sont donc recevables à en rechercher l’annulation devant le juge administratif.
Dans certains cas, les circonstances justifient de saisir celui-ci d’une requête en référé tendant à ce que les effets de la décision de préemption soient suspendus dans l’attente du jugement à intervenir.
Pour être admis dans sa demande, le requérant doit alors démontrer une urgence, en principe présumée du fait de sa qualité (1), ainsi qu’un doute sérieux sur la légalité de l’acte attaqué, lequel doute se trouve notamment caractérisé lorsque l’administration ne parvient pas à convaincre de la réalité du projet ayant justifié la préemption (2) (article L. 521-1 du code de justice administrative).
Par une ordonnance en date du 10 août 2023 – rendue alors que j’intervenais pour l’acquéreur évincé, et sur laquelle il y a lieu de revenir dans le cadre du présent article – le juge des référés du tribunal administratif de TOULON s’est affairé à rappeler les principes évoqués, tout en s’illustrant par la clarté des motifs ayant guidé son raisonnement (TA TOULON, juge des référés, ordonnance du 10 août 2023, N° 2302393).
- Première condition : l’urgence
En principe, l’urgence est présumée lorsque le recours est le fait de l’acquéreur évincé.
Le juge administratif considère en effet qu’eu égard à l’objet d’une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l’acquéreur évincé, la condition d’urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci demande la suspension d’une telle décision (CE 13 nov. 2002, n° 248851, Hourdin : JurisData n° 2002-064597), et ce « y compris en l’absence de transfert concomitant à cette décision de la propriété du bien préempté vers la commune » (CE, 26 janvier 2005, n° 272126, mentionné aux tables du recueil Lebon).
La circonstance que le compromis de vente comporte une clause prévoyant sa caducité en cas d’exercice de son droit de préemption par une collectivité n’est pas de nature à renverser cette présomption d’urgence.
Il peut toutefois en aller autrement dans le cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l’intérêt s’attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’exercice du droit de préemption.
A ce titre, il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise.
Dans l’affaire commentée, dont a récemment eu à connaître le tribunal administratif de TOULON, le titulaire du droit de préemption invoquait une urgence à mettre en œuvre son projet, mais en justifiait d’autant moins qu’il peinait à établir la réalité de celui-ci.
Dans de pareilles conditions, le juge des référés a ainsi relevé qu’il n’était fait état d’aucune circonstance particulière de nature à permettre que la condition d’urgence ne soit pas regardée comme satisfaite.
A noter pour conclure sur ce point que, malgré la présomption instituée par le juge administratif, l’acquéreur évincé a à notre sens tout intérêt à justifier d’une urgence s’il entend que tous les effets de la décision soient suspendus et, en d’autres termes, s’il entend que la signature de l’acte authentique de vente à son profit puisse intervenir.
A défaut de précision, le juge pourrait en effet décider de limiter ses pouvoirs, et de ne suspendre les effets de la décision contestée qu’en ce que celle-ci permet à l’autorité titulaire du droit de préemption de prendre possession de l’immeuble, et d’en disposer ou d’en user dans des conditions qui rendraient irréversible la préemption.
Autrement dit, et pour peu que le transfert de propriété ne soit pas intervenu, la décision de préemption n’est pas automatiquement suspendue en ce qu’elle fait obstacle à la signature de la vente initialement projetée avec l’acquéreur évincé.
Pour parvenir à un tel résultat, le requérant doit en effet faire état de circonstances caractérisant la nécessité pour lui de réaliser immédiatement le projet envisagé.
2. Deuxième condition : l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’acte
Une fois la condition d’urgence considérée comme remplie, il revient au juge des référés de prendre en considération les moyens du requérant faisant sérieusement douter de la légalité de l’acte incriminé.
En matière de préemption, les moyens tenant à la légalité externe et interne sont nombreux.
Le plus récurrent consiste cependant à soutenir que l’administration ne justifiait pas, à la date de la décision attaquée, d’un projet suffisamment réel.
Pour ce faire, le requérant doit démontrer que l’acte litigieux contrevient aux dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme.
Celles-ci prévoient que « Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 » (article L. 210-1), soit en vue de la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement ayant pour objets « de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine » (article L. 300-1).
Il résulte d’une jurisprudence constante que le titulaire du droit de préemption doit justifier, à la date à laquelle il l’exerce, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme (CE 7 mars 2008, Cne de Meung-sur-Loire, n° 288371).
Ne justifie notamment pas de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement la décision qui porte sur un projet encore indéterminé ayant fait l’objet d’une étude confiée à un prestataire quelques jours auparavant (CE 7 mai 2010, Cne de Chelles, n° 332211).
Par application d’un tel raisonnement, de simples croquis et descriptions sommaires sans qu’un projet soit discuté par la collectivité préalablement à la décision de préemption ne sont pas de nature à établir que le projet de réalisation de l’équipement mentionné dans la décision de préemption existait à la date de son intervention (CAA MARSEILLE, 29 janv. 2016, Sté Franco-Marocaine d’Investissement c/ Cne de Lamalou-les-Bains, n° 14MA01177).
La réalité d’un projet n’est pas plus avérée lorsque des contraintes techniques et urbanistiques viennent compromettre, voire rendre impossible, la réalisation du projet visé par la collectivité (CE, 15 juill. 2020, n° 432325).
Dans le droit fil de ces antécédents, le juge des référés du tribunal administratif de TOULON a estimé, dans l’ordonnance commentée, que :
« 7. En deuxième lieu, il ressort de la décision de préemption litigieuse qu’elle est motivée par un projet de réalisation de « 11 logements collectifs en R+3 et 2 logements collectifs en R+1 ». Il résulte toutefois de l’instruction que la description du projet dans « l’étude de capacité » sur laquelle s’est fondé l’EPF PACA pour décider de préempter est particulièrement succincte. Il est par ailleurs constant que les 2 seuls croquis qu’elle comporte sont entachés d’erreur sur la portée du projet et, au surplus, que le secteur est soumis à des contraintes, notamment en matière de risque d’inondations, de nature à mettre en doute sa faisabilité. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision de préemption méconnaît les articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. La condition tenant à l’existence d’un doute sérieux doit donc être regardée comme remplie (voir arrêt du Conseil d’État du 15 juillet 2020, n° 432325). » (TA TOULON, juge des référés, ordonnance du 10 août 2023, N° 2302393).
Pour consulter la décision, c’est ici :
https://www.doctrine.fr/d/TA/Toulon/2023/TAE592358AE1504D3DA4D9