Le droit de préemption est un droit qui permet à son titulaire d’acquérir par priorité un bien mis en vente par son propriétaire. Ce droit, qui a été conféré par le législateur à certains particuliers comme le coindivisaire, le locataire ou le fermier, a également été attribué aux collectivités publiques pour leur permettre d’intervenir sur le marché foncier dans certaines zones sensibles ou, de manière plus générale, à propos de certains biens présentant pour les autorités publiques un intérêt particulier.
On recensait jusqu’à présent, au sein du code de l’urbanisme, cinq principales catégories de droits de préemption, instituées pour poursuivre des buts bien précis, à savoir :
- Le droit de préemption urbain (DPU), le droit de préemption dans les zones d’aménagement différé (ZAD) et le droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial, qui peuvent être utilisés pour mettre en œuvre un projet urbain, une politique de l’habitat, organiser la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, favoriser le développement des loisirs et du tourisme, réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, permettre le renouvellement urbain, sauvegarder ou mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, et pour constituer des réserves foncières ayant le même objet (article L. 300-1 du code de l’urbanisme).
Ces droits peuvent être institués, sur le plan territorial :
* Concernant le DPU, dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme (PLU) approuvé sur tout ou partie des zones urbaines ou à urbaniser, mais également dans les périmètres délimités par une carte communale, ainsi que dans les périmètres institués en application du code de l’environnement en matière de prévention des risques, ou en application du code de la santé publique en matière de protection de la qualité des eaux (article L. 211-1 du code de l’urbanisme).
* Concernant le droit de préemption dans les ZAD, dans les zones créées à cet effet, sous le contrôle (restreint) du juge administratif (articles L. 212-1 et suivants du code de l’urbanisme).
* Concernant le droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial, dans le périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, créé par délibération motivée de l’organe délibérant (articles L. 214-1 et suivants du code de l’urbanisme).
- Le droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine, institué par l’autorité administrative de l’Etat à la demande de la commune ou du groupement de communes compétent pour contribuer à la préservation de la ressource en eau en application de l’article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales, dans le but de préserver la qualité de la ressource en eau dans laquelle sont effectués des captages utilisés pour l’alimentation en eau destinée à la consommation humaine (articles L. 218-1 et suivants du code de l’urbanisme).
- Le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles (ENS), lequel s’applique dans certaines zones créées, après consultations diverses, par le département dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de protection, de gestion et d’ouverture au public des ENS, boisés ou non, destinée à préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d’expansion des crues et d’assurer la sauvegarde des habitats naturels (articles L. 215-1 et suivants du code de l’urbanisme).
La préemption peut également être exercée par les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), à l’initiative du département, dans les périmètres agricoles et espaces naturels (PEAN), afin de faire l’acquisition de terrains dans un but de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (articles L. 143-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime).
Venant compléter le dispositif existant, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 est venue créer un nouveau droit de préemption pour l’adaptation des territoires face au recul du trait de côte (DPRTC).
L’articulation de ce nouvel outil avec les autres droits de préemption est telle qu’à l’intérieur des futures zones concernées par le DPRTC, le DPU, le droit de préemption relatif aux ZAD ainsi que le droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial cesseront de s’appliquer.
Le DPRTC pourra à l’inverse s’exercer en coopération avec la SAFER sur les biens immobiliers non bâtis à usage ou à vocation agricole, ainsi que les bâtiments d’exploitation agricole.
Seul le droit de préemption dont disposent les départements dans les périmètres ENS primera sur le DPRTC.
Les nouveaux articles L. 219-1 et suivants du code de l’urbanisme viennent ainsi réglementer les zones où s’applique le DPRTC (1), les aliénations y étant soumises (2), la procédure spécifique devant être mise en œuvre (3) ainsi que le régime des biens préemptés (4).
Aucune définition juridique du trait de côte n’étant en revanche instaurée, c’est à l’observatoire du littoral que revient le mérite d’indiquer que la limite entre la terre et la mer est définie à partir de critères géomorphologiques (formes des côtes) sur la base d’observations et de mesures de terrain, de l’analyse et de l’interprétation d’images aériennes ou spatiales (http://observatoires-littoral.developpement-durable.gouv.fr/qu-est-ce-que-le-trait-de-cote-r25.html).
- Institution et titulaires du DPRTC
Comme indiqué par l’article L. 219-1 du code de l’urbanisme, le DPRTC est institué au bénéfice des communes mentionnées à l’article L. 121-22-1 du code de l’urbanisme, ou de l’établissement public de coopération intercommunale dont elles sont membres, lorsque celui-ci est compétent en matière de plan local d’urbanisme ou de carte communale.
En application de ce texte, les communes concernées sont celles visées par Décret n° 2022-750 du 29 avril 2022 établissant la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydro sédimentaires entraînant l’érosion du littoral, laquelle sera révisée tous les 9 ans.
Il est important de noter que l’article L. 121-22-1 du code de l’urbanisme distingue, parmi les communes visées par Décret :
- Celles n’étant pas couvertes au 1er mai 2022 par un plan de prévention des risques littoraux (PPRL) prescrit ou approuvé comportant des dispositions relatives au recul du trait de côte, et qui devront, dans les 4 ans, établir une carte locale de projection du recul du trait de côte,
- Celles qui, au contraire, sont couvertes au 1er mai 2022 par un tel document de planification, et qui pourront, en plus, établir une carte locale de projection du recul du trait de côte.
Cette carte mettra en exergue les zones d’exposition, au sein desquelles les collectivités pourront faire usage des différents outils créés par la loi Climat et Résilience.
Les zones de préemption sont créées, au sein de ces communes, en fonction du niveau d’exposition de telle ou telle zone, lequel dépend du fait de savoir :
- Si le recul du trait de côte est à l’horizon de 30 ans,
- Ou s’il se situe plutôt dans un horizon compris entre 30 et 100 ans.
Le droit de préemption, instauré de plein droit dans le premier cas, pourra être établi par délibération de l’organe délibérant dans la seconde hypothèse, étant précisé que les zones soumises à droit de préemption devront en tout état de cause être délimitées par les documents graphiques des documents locaux d’urbanisme.
2. Aliénations soumises au droit de préemption
Les articles L. 219-2 à L. 219-5 du code de l’urbanisme indiquent que sont soumis au DPRTC :
- Les immeubles ou ensembles de droits sociaux donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble, bâti ou non bâti, lorsqu’ils sont aliénés, à titre onéreux sous quelque forme que ce soit, font l’objet d’une donation entre vifs, ou constituent un apport en nature au sein d’une société civile immobilière (SCI),
- Les cessions de droits indivis portant sur un immeuble ou une partie d’immeuble, bâti ou non bâti,
- Les cessions de la majorité des parts d’une SCI ou les cessions conduisant un acquéreur à détenir la majorité des parts de ladite société, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non bâtie, dont la cession serait soumise au droit de préemption,
- Les immeubles construits ou acquis par les organismes d’habitation à loyer modéré (HLM),
- Les adjudications autorisées ou ordonnées par un juge, au prix de la dernière enchère, par substitution à l’adjudicataire.
Ces mêmes dispositions excluent en revanche du droit de préemption :
- Les immeubles compris dans un plan de cession d’entreprises en difficulté,
- Les cessions de parts relatives aux SCI constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré inclus,
- Les immeubles construits ou acquis par les organismes d’HLM ayant fait l’objet d’une décision d’agrément du représentant de l’Etat dans le département en vue de la construction ou de l’acquisition de logements neufs faisant l’objet d’un contrat de location-accession régi par la loi n° 84-595 du 12 juillet 1984 définissant la location-accession à la propriété immobilière,
- Les adjudications mettant fin à une indivision créée volontairement, à moins que celle-ci ne résulte d’une donation-partage,
- Les immeubles ou ensembles de droits sociaux faisant l’objet d’une donation entre vifs lorsque celle-ci est effectuée entre ascendants et descendants, entre collatéraux jusqu’au sixième degré, entre époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS), entre une personne et les descendants de son conjoint ou de son partenaire de PACS, ou entre ces descendants,
- Les terrains faisant l’objet d’une mise en demeure d’acquérir :
* Lorsqu’ils sont grevés par un emplacement réservé,
* Lorsqu’ils sont grevés par un emplacement réservé,
* Lorsqu’ils sont compris dans le périmètre d’une ZAC,
* Lorsqu’il est sursis à statuer, en application de l’article L. 424-1 du code de l’urbanisme, à toute demande d’urbanisme déposée sur leur assiette,
* Lorsqu’ils doivent être acquis dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique,
- Certains immeubles appartenant à l’Etat ou à ses établissements publics (article 141 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finance rectificative pour 2006),
- Les immeubles acquis par un établissement public foncier lorsque celui-ci agit sur demande expresse de la collectivité titulaire du droit de préemption.
3. Procédure de préemption
L’article L. 219-6 du code de l’urbanisme prévoit que toute aliénation est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable adressée par le propriétaire à la commune où est situé le bien, et transmise en copie au directeur départemental ou régional des finances publiques.
De son côté, la personne publique concernée transmettra copie de la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) au responsable départemental des services fiscaux.
Cette DIA doit obligatoirement comporter l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée.
La décision de préemption devra être notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à l’acquéreur potentiel mentionné dans la DIA dans un délai légal de deux mois à compter de la réception de cette déclaration, à défaut de quoi le titulaire de ce droit sera réputé avoir renoncé à préemption.
Selon les dispositions précitées, ce délai peut être suspendu par une demande unique de communication des documents permettant d’apprécier la consistance et l’état de l’immeuble ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière.
L’article L. 219-6 du code de l’urbanisme, qui indique également que la personne publique peut visiter le bien soumis à préemption, ne précise pas que la visite est suspensive de délai (comme c’est néanmoins le cas pour les autres droits de préemption).
A noter que la préemption ne peut porter que sur une fraction d’unité foncière comprise à l’intérieur de la zone de préemption, le propriétaire pouvant dans un tel cas de figure exiger que le titulaire du droit de préemption se porte acquéreur de l’ensemble de l’unité foncière.
A défaut d’accord amiable, le prix d’acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation, en tenant compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte.
Il convient par ailleurs de noter que les propriétaires des biens concernés disposent d’un droit de délaissement de leur bien, et peuvent ainsi proposer celui-ci au titulaire du droit de préemption, au prix qu’ils déterminent (étant là encore précisé qu’à défaut d’accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation). En cas de refus ou à défaut de réponse du titulaire du droit de préemption dans le délai de deux mois, le propriétaire bénéficie des dispositions de l’article L. 213-8, relatives à la réalisation d’une vente après renonciation à droit de préemption.
4. Régime des biens acquis
La personne publique qui devient propriétaire par l’effet du DPRTC assure la gestion des biens acquis au regard de l’évolution prévisible du trait de côte et procède à leur renaturation. Elle peut éventuellement en confier la gestion à une personne publique ou privée y ayant vocation.
Les biens peuvent faire l’objet, de façon transitoire, avant leur renaturation, d’une convention ou d’un bail en vue d’occuper, d’exploiter, d’aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages ou bâtiments en tenant compte de l’évolution prévisible du trait de côte, et notamment bail réel d’adaptation à l’érosion côtière dit « BRAEC », défini à l’article L. 321-18 du code de l’environnement.