1. Aux termes de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme le droit de préemption peut être exercé en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations d’aménagement ayant pour objets “de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine”. Ce même droit peut aussi être utilisé pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation de ces actions ou opérations d’aménagement.

Le contenu de l’action ou de l’opération d’aménagement doit, selon le juge administratif, révéler une volonté d’aménagement, c’est-à-dire « un effort d’organisation et d’agencement d’une portion du territoire » (CE, 28 juill. 1993, n° 124099, Cne Chamonix-Mont-Blanc : JurisData n° 1993-043818). 

Dans certaines circonstances, il est admis qu’une décision de préemption puisse être prise pour acquérir un immeuble, alors même que le projet en vue duquel cet acte a été édicté ne prévoit ni mesure d’urbanisation, ni réalisation d’équipement. Un terrain peut ainsi être préempté dans le seul but d’être revendu à une entreprise qui souhaite développer son activité, dès lors que l’action ou l’opération qui fonde la préemption répond bien à l’un des objets définis à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme (CE, 6 févr. 2006, Cne Lamotte-Beuvron : JurisData n° 2006-069618). La circonstance que l’acquéreur évincé justifiait d’un projet pouvant également concourir aux objectifs poursuivis par l’Administration – c’est-à-dire à l’extension ou à l’accueil des activités économiques – est ici sans incidence sur la légalité de la décision de préemption (CE, 16 juill. 2010, n° 325236, SCI Lacha c/ Cne Briançon : JurisData n° 2010-014356). Ainsi, le droit de préemption peut ici être exercé pour un motif « défensif », c’est-à-dire pour permettre la pérennité d’une entreprise, le bien préempté devant être revendu à cette dernière pour assurer son maintien (CE, 21 nov. 2008, n° 302144, Leclercq : JurisData n° 2008-074531).

La décision peut également être justifiée par la volonté de la commune de préserver l’utilisation des biens acquis à des fins hôtelières et, ainsi, empêcher que l’ensemble hôtelier ne soit transformé en appartements ou en résidence de vacances (CE, 3 déc. 2007, n° 306949, Cne Saint-Bon-Tarentaise : JurisData n° 2007-072814).

Les objectifs assignés par la loi à l’exercice du droit de préemption autorisent également l’utilisation de cette prérogative « pour maintenir l’activité économique de commerce de détail alimentaire de proximité » (CAA Bordeaux, 16 juin 2008, n° 06BX01823, Cne Angresse : JurisData n° 2008-365939), ou encore « pour garantir le maintien du seul restaurant du bourg » (CAA Marseille, 5 mars 2010, n° 08MA00387, Coop. agricole et vinicole golfe de Saint-Tropez). Répond également aux objets définis par les articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, la décision de préemption prise en vue de « permettre la préservation et la mise en valeur de l’ancienne glacière souterraine de la commune », ce projet ayant pour objet « la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine urbain bâti et non bâti » (CAA Nantes, 7 avr. 2010, n° 09NT01219, Peltier) ;

2. Par ailleurs, pour apprécier la réalité de l’action ou de l’opération d’aménagement, le juge administratif exige que la collectivité publique justifie, à la date de la décision de préemption, non pas de l’existence d’un projet suffisamment précis et certain, mais, plus simplement, de la réalité du projet en vue duquel ce droit a été exercé, et ceci « alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date » (CE, 7 mars 2008, Cne Meung-sur-Loire, n° 288371 : JurisData n° 2008-073222 ; CE, 21 janv. 2009, n° 318972).

Aussi, une cour administrative d’appel commet-elle une erreur de droit en jugeant illégale une décision de préemption aux motifs que la commune ne justifiait pas, à la date de la préemption litigieuse, « d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement suffisamment précis et certain répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 » (CE, 20 nov. 2009, Cne Noisy-le-Grand : JurisData n° 2009-014894).

La réalité du projet peut être établie soit par des éléments démontrant son antériorité (lettres, discours, études techniques), soit par des précédents démontrant qu’il s’insère dans une politique dont il est l’une des manifestations, et qui rendent sa réalisation quasi certaine au regard des initiatives concrètes menées dans le secteur concerné (Rép. min. n° 92063 : JOANQ, 8 févr. 2011, p. 1325 ; L. Derepas, concl. sur CE, 7 mars 2008, Cne Meung-sur-Loire).

Dit autrement, la réalité du projet ressort de la préexistence d’une intention préalable du titulaire du droit de préemption de réaliser un projet d’aménagement répondant aux objets légaux (CAA Lyon, 27 avr. 2010, n° 08LY02805, Gaujard).

La réalité d’un projet de nature à justifier l’exercice du droit de préemption peut ainsi être justifiée par :

  • Un PLH comportant des actions suffisamment précises (CAA Marseille, 21 mai 2010, n° 08MA02971, Gervais) ;
  • Des courriers échangés entre la commune et un office HLM (CAA Marseille, 4 juin 2010, n° 08MA02958, Cne Mallemoisson. – CAA Douai, 6 août 2010, n° 09DA00827, Iatrino) ;
  • Une délibération municipale envisageant l’extension d’une zone d’activité (CAA Lyon, 17 août 2010, n° 09LY00840, Gresta) ;
  • Une étude de faisabilité de l’opération (CAA Versailles, 4 déc. 2008, n° 07VE01300, Cne Noisy-Le-Grand : Constr.-Urb. 2009, comm. 18, note G. Godfrin. – CAA Lyon, 8 juin 2010, n° 08LY02297, SA RD Machines outils).

A noter qu’une décision de préemption peut être légalement édictée alors même que la nature du projet annoncé par l’acte litigieux serait incompatible avec les dispositions du PLU relatives à la zone dans laquelle est situé le bien.

Le tribunal administratif d’Amiens a ainsi pu considérer qu’aucune « disposition législative ou réglementaire n’interdit (…) l’exercice du droit de préemption en vue de la réalisation d’un projet qui ne serait pas conforme au plan local d’urbanisme en vigueur à la date de la décision de préemption » (TA Amiens, 28 avr. 2009, n° 0802334, Mourgues : AJDA 2009, p. 1855).